Dans la célébration du désordre
dionysiaque, la poésie française du
XVIIe avait
aussi (surtout avant l'affaire Théophile
de Viau, mais encore après) des accents
baroques imprévisibles. Saint-Amant
(1594-1661) s'inscrit ici dans la tradition qu'on connaît mieux en
peinture qu'en littérature et qui pourrait donner lieu à une très
belle étude comparative des deux arts.
On a conservé avec plaisir la graphie originale.
XXX ~
La Desbauche
Nous
perdons notre temps à rimer
Amis,
il ne faut plus chommer,
Voicy
bacchus qui nous convie
A
mener bien une autre vie ;
Laissons
là ce fat d’Apollon,
Chions
dedans son violon ;
Nargue
du Parnasse et des Muses,
Elles
sont vieilles et camuses ;
Nargue
de leur sacré ruisseau,
De
leur archet, de leur pinceau,
Et
de leur verve poëtique
Qui
n’est qu’une ardeur frénétique :
Pegase
enfin n’est qu’un Cheval,
Et
pour moy je croy, cher Laval,
Que
qui le suit et lui fait feste,
Ne
suit, et n’est rien qu’une beste.
Morbieu !
comme il pleut là dehors !
Faisons
pleuvoir dans nostre corps
Du
Vin, tu l’entens sans le dire,
Et
c’est là le vray mot pour rire :
Chantons,
rions, menons du bruit,
Beuvons
icy toute la nuit,
Tant
que demain la belle Aurore
Nous
trouve tous à table encore.
Loing
de nous sommeil et repas ;
Boissat,
lors que nos pauvres os
Seront
enfermez dans la tombe
Par
la Mort sous qui tout succombe,
Et
qui nous poursuit au galop,
Las !
nous ne dormirons que trop.
Prenons
de ce doux jus de Vigne,
Je
voy Faret quy se rend digne
De
porter ce Dieu dans son sein
Et
j’approuve fort son dessein.
Bacchus ! qui vois nostre desbauche,
En
m’enluminant le museau
De
ce trait que je boy sans eau,
Par
ta couronne de lierre,
Par
la splendeur de ce grand Verre,
Par
ton thirse tant redouté,
Par
ton eternelle santé,
Par
l’honneur de tes belles festes,
Par
tes innombrables conquestes,
Par
les coups non donnez, mais bûs,
Par
tes glorieux attribûts,
Par
les hurlements des Ménades,
Par
les haut goust des carbonnades,
Par
tes couleurs, blanc et clairet,
Par
le fameux Cabaret,
Par
le doux chant de tes Orgyes,
Par
l’esclat des trongnes rougies,
Par
table ouverte à tout-venant,
Par
le bon Caresme-prenant,
Par
les fins mots de ta Cabale,
Par
le tambour et la Cymbale,
Par
tes cloches qui sont des Pots,
Par
tes soupirs qui sont des rots,
Par
tes hauts et sacrez mysteres,
Par
tes furieuses Pantheres,
Par
ce lieu si frais et si dous,
Par
ton Boucq paillard comme nous,
Par
ta grosse garce Ariane,
Par
le vieillard monté sur l’Asne ;
Par
les Satyres tes Cousins,
Par
la fleur des plus beaux Raisins,
Par
ces bisques si renommées,
Par
ces langues de Bœuf fumées,
Par
ce tabac ton seul Encens,
Par
tous les plaisirs innocens,
Par
ce jambon couvert d’espice,
Par
ce long pendant de saucisse,
Par
la majesté de ce Broc,
Par
masse, toppe, cric et croc,
Par
ceste olive que je mange,
Par
ce gay passeport d’orange,
Par
ce vieux fromage pourry ;
Bref
par Gilot ton favory,
Recoy
nous dans l’heureuse troupe,
Des
francs Chevaliers de la Couppe,
Et
pour te monstrer tout divin
Ne
la laisse jamais sans Vin.
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