samedi 2 mai 2015

Saint-Amant ~ La Desbauche

Dans la célébration du désordre dionysiaque, la poésie française du XVIIe avait aussi (surtout avant l'affaire Théophile de Viau, mais encore après) des accents baroques imprévisibles. Saint-Amant (1594-1661) s'inscrit ici dans la tradition qu'on connaît mieux en peinture qu'en littérature et qui pourrait donner lieu à une très belle étude comparative des deux arts.
On a conservé avec plaisir la graphie originale.


              XXX ~ La Desbauche

Nous perdons notre temps à rimer
Amis, il ne faut plus chommer,
Voicy bacchus qui nous convie
A mener bien une autre vie ;
Laissons là ce fat d’Apollon,
Chions dedans son violon ;
Nargue du Parnasse et des Muses,
Elles sont vieilles et camuses ;
Nargue de leur sacré ruisseau,
De leur archet, de leur pinceau,
Et de leur verve poëtique
Qui n’est qu’une ardeur frénétique :
Pegase enfin n’est qu’un Cheval,
Et pour moy je croy, cher Laval,
Que qui le suit et lui fait feste,
Ne suit, et n’est rien qu’une beste.
Morbieu ! comme il pleut là dehors !
Faisons pleuvoir dans nostre corps
Du Vin, tu l’entens sans le dire,
Et c’est là le vray mot pour rire :
Chantons, rions, menons du bruit,
Beuvons icy toute la nuit,
Tant que demain la belle Aurore
Nous trouve tous à table encore.
Loing de nous sommeil et repas ;
Boissat, lors que nos pauvres os
Seront enfermez dans la tombe
Par la Mort sous qui tout succombe,
Et qui nous poursuit au galop,
Las ! nous ne dormirons que trop.
Prenons de ce doux jus de Vigne,
Je voy Faret quy se rend digne
De porter ce Dieu dans son sein
Et j’approuve fort son dessein.
Bacchus ! qui vois nostre desbauche,
En m’enluminant le museau
De ce trait que je boy sans eau,
Par ta couronne de lierre,
Par la splendeur de ce grand Verre,
Par ton thirse tant redouté,
Par ton eternelle santé,
Par l’honneur de tes belles festes,
Par tes innombrables conquestes,
Par les coups non donnez, mais bûs,
Par tes glorieux attribûts,
Par les hurlements des Ménades,
Par les haut goust des carbonnades,
Par tes couleurs, blanc et clairet,
Par le fameux Cabaret,
Par le doux chant de tes Orgyes,
Par l’esclat des trongnes rougies,
Par table ouverte à tout-venant,
Par le bon Caresme-prenant,
Par les fins mots de ta Cabale,
Par le tambour et la Cymbale,
Par tes cloches qui sont des Pots,
Par tes soupirs qui sont des rots,
Par tes hauts et sacrez mysteres,
Par tes furieuses Pantheres,
Par ce lieu si frais et si dous,
Par ton Boucq paillard comme nous,
Par ta grosse garce Ariane,
Par le vieillard monté sur l’Asne ;
Par les Satyres tes Cousins,
Par la fleur des plus beaux Raisins,
Par ces bisques si renommées,
Par ces langues de Bœuf fumées,
Par ce tabac ton seul Encens,
Par tous les plaisirs innocens,
Par ce jambon couvert d’espice,
Par ce long pendant de saucisse,
Par la majesté de ce Broc,
Par masse, toppe, cric et croc,
Par ceste olive que je mange,
Par ce gay passeport d’orange,
Par ce vieux fromage pourry ;
Bref par Gilot ton favory,
Recoy nous dans l’heureuse troupe,
Des francs Chevaliers de la Couppe,
Et pour te monstrer tout divin
Ne la laisse jamais sans Vin.

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