jeudi 28 mai 2015

Paul Scarron ~ Chanson à boire

« Chanson à boire »

                Que j'aime le cabaret !
      Tout y rit, personne n'y querelle.
                      La balancelle
      M'y tient lieu d'un tabouret.
                Laissons les interests
                Des culs, des tabourets ;
                      La Noblesse
                      Pour la fesse
                      Fait prouesse :
                En bein beuvant
         Taschons d'en faire autant.

             Tout respect & tout honneur
        A Messieurs les porteurs de rapieres ;
                   Leurs derrieres
             Font pourtant trop de rumeur :
             Quoy ! pour le cu caduc
             De la femme d'un Duc
                   Tout le monde
                   S'entre-gronde,
                   Et pour le cu
             Tout s'en va T. U. tu !

             Vray-Dieu ! que le vin est bon !
        Qu'il est frais ! Dans mon verre il petille.
                     Qu'on me grille
               Vistement de ce jambon !
                     O que je vay disner !
                Que je m'en vay donner !
                      Ça ! courage !
                      Faisons rage :
                      Ce potage
                    Bien mitonné
                Est d'un goust raffiné.

vendredi 22 mai 2015

Paul Scarron ~ Chanson à boire

« Chanson à boire » (datée de juillet ou août 1646, date du siège de Mardicq) où il est au final très peu question d'ivresse...

        Si l'on me voit devant Mardicq,
    Me puisse venir la teigne ou la tic ;
Bon à faire à Gassion, d'estre friand de batailles ;
                Un coup de canon
        N'est, ma foy, ny beau ny bon :
Il vaut mieux dedans Paris manger perdereaux & cailles,
                Que d'aller au Pays bas
                Et de n'en revenir pas.

          Alors qu'on a le bras cassé,
     On ne vaut guere mieux qu'un trépassé ;
Devant Mardicq, ce dit-on, bien souvent des bras on casse,
                Des cuisses aussy ;
           Il fait bien meilleur icy :
Il fait meilleur à Paris, où l'on boit avec la glace,
                Que d'aller au Pays bas
                Et d'en revenir sans bras.

          Que d'Anguien, comme un Lyon,
      Un soldat Flamand fasse occision ;
J'aime mieux, comme un pourceau, me remplir jusqu'à la gorge
                De friands morceaux :
           Ces exploicts sont bien plus beaux
Que d'aller au Pays bas, à cheval comme un Sainct George,
               Où, lors qu'on n'y pense pas,
               Un Flamand vous met à bas.

jeudi 14 mai 2015

Paul Scarron ~ Chason à boire

         « Chanson à boire », datée d'avant 1642 par Maurice Cauchie, chef d'œuvre du genre : mètre impair (13 pieds), évocation du marquis de Cinq-Mars (mis à mort après une conspiration), et même éloge du marquis exécuté, verve exceptionnelle, exubérance, memento mori, animalité, métamorphose, humour, valeurs guerrières et trivialité de l'ivresse mises au même niveau dans une dé-hiérarchie morale, ce poème est un chef-d'oeuvre en soi.

                Que de biens sur la table
                Où nous allons manger !
                O le vin delectable
                Dont on nous va gorger !
Sobres, loin d'icy ! loin d'icy, beuveurs d'eau bouillie !
Si vous y venez, vous nous ferez faire folie.
Que je sois fourbu, chastré, tondu, begue-cornu1,
Que je sois perclus alors que je ne boiray plus.

                 Monstrons nostre courage :
                 Beuvons jusques au cou.
                 Que de nous le plus sage
                 Se monstre le plus fou.
Vous, qui les oisons imitez en vostre breuvage,
Puissiez vous aussi leur ressembler par le visage.
Etc.

                Et d'estoc & de taille
                Parlons comme des foux ;
                Qu'un chacun crie & braille :
                Hurlons comme des loups.
Jettons nos chapeaux & nous coiffons de nos serviettes,
Et tambourinons de nos cousteaux sur nos assiettes.
Etc.

                Que le vin nous envoye
                D'agreables fureurs !
                C'est dans luy que l'on noye
                Les plus grandes douleurs.
O Dieu ! qu'il est bon ! prenons en par dessus la teste ;
Aussi bien, chez nous, vomir est chose fort honneste.
Etc.

                 Hastons nous de bien boire
                 Devant qu'il soit trop tard,
                 Et chantons à la gloire
                 Du Seigneur de Cinq-Mars :
Il est beau, vaillant, courtois, prend plaisir à despendre :
Tel fut autrefois defunt Monseigneur Alexandre.
Etc.


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1 ~ Je reprends la note de Cauchie : « Pour becque-cornu (travestissement de l'italien becco cornuto), qui signifie cocu.

jeudi 7 mai 2015

Paul Scarron ~ "Au grand Flotte"

Paul Scarron (1610-1660), baroque parmi les baroques, libre penseur ("libertin"), grand homme tordu, premier mari de celle qui deviendra Madame de Maintenon et grâce à qui on a un portrait assez sympathique de lui dans la première partie (à peu près bonne, contrairement à sa suite) du film L'Allée du Roi (1995).

« Au grand Flotte1 »

    Ha ! vrayment, nous allons bien boire
    Si le vin ne nous manque point.
    A bien remplir nostre pourpoint
    Mettons aujourd'huy nostre gloire.
    Beuvons du bon vin que voicy
    Jusques à nous en laisser prendre ;
    Et s'il nous force de nous rendre,
Rendons luy la pareille en le rendant aussi.

    Que beny soit le jus d'Octobre,
    Ce jus qui rougit tant de nez !
    Malheur sur les moriginez !
    Malheur, malheur sur la gent sobre !
    Malheur sur les peuples bigots !
    Honny soit qui ne les mesprise,
    Pires que la gent circoncise
Et pires mille fois que Gots & Visigots.

    Grand Flotte, de qui les entrailles
    Ne s'ouvrent qu'aux friands morceaux,
    Sans qui les festins les plus beaux
    Sont tristes comme funerailles,
    Fronce ton grand nez aquillin,
    Toy dont le rot est un tonnerre,
    Et, branlant en main ton grand verre,
Laisse agir ton courroux sur ce peuple vilain.

    Contre cette lasche canaille
    Exerce ton gosier d'airin :
    Avecque nos voix voix de Lutrin
    Nous te suivrons vaille que vaille.
    N'en déplaise aux maistres de l'Art,
    Nostre musique est bonne & belle :
    C'est toy, bon vin, qui la rends telle ;
Puisses tu nous durer jusqu'à ce soir bien tard.

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1 ~ Jean-Jacques Flotte (1583-?), « gentilhomme ordinaire du duc de Guise, est né à Toulouse comme le poète François Mainard dont il est l'ami intime & le correspondant à Paris. Sa réputation de grand buveur est depuis longtemps établie. » (Cauchie)

samedi 2 mai 2015

Saint-Amant ~ La Desbauche

Dans la célébration du désordre dionysiaque, la poésie française du XVIIe avait aussi (surtout avant l'affaire Théophile de Viau, mais encore après) des accents baroques imprévisibles. Saint-Amant (1594-1661) s'inscrit ici dans la tradition qu'on connaît mieux en peinture qu'en littérature et qui pourrait donner lieu à une très belle étude comparative des deux arts.
On a conservé avec plaisir la graphie originale.


              XXX ~ La Desbauche

Nous perdons notre temps à rimer
Amis, il ne faut plus chommer,
Voicy bacchus qui nous convie
A mener bien une autre vie ;
Laissons là ce fat d’Apollon,
Chions dedans son violon ;
Nargue du Parnasse et des Muses,
Elles sont vieilles et camuses ;
Nargue de leur sacré ruisseau,
De leur archet, de leur pinceau,
Et de leur verve poëtique
Qui n’est qu’une ardeur frénétique :
Pegase enfin n’est qu’un Cheval,
Et pour moy je croy, cher Laval,
Que qui le suit et lui fait feste,
Ne suit, et n’est rien qu’une beste.
Morbieu ! comme il pleut là dehors !
Faisons pleuvoir dans nostre corps
Du Vin, tu l’entens sans le dire,
Et c’est là le vray mot pour rire :
Chantons, rions, menons du bruit,
Beuvons icy toute la nuit,
Tant que demain la belle Aurore
Nous trouve tous à table encore.
Loing de nous sommeil et repas ;
Boissat, lors que nos pauvres os
Seront enfermez dans la tombe
Par la Mort sous qui tout succombe,
Et qui nous poursuit au galop,
Las ! nous ne dormirons que trop.
Prenons de ce doux jus de Vigne,
Je voy Faret quy se rend digne
De porter ce Dieu dans son sein
Et j’approuve fort son dessein.
Bacchus ! qui vois nostre desbauche,
En m’enluminant le museau
De ce trait que je boy sans eau,
Par ta couronne de lierre,
Par la splendeur de ce grand Verre,
Par ton thirse tant redouté,
Par ton eternelle santé,
Par l’honneur de tes belles festes,
Par tes innombrables conquestes,
Par les coups non donnez, mais bûs,
Par tes glorieux attribûts,
Par les hurlements des Ménades,
Par les haut goust des carbonnades,
Par tes couleurs, blanc et clairet,
Par le fameux Cabaret,
Par le doux chant de tes Orgyes,
Par l’esclat des trongnes rougies,
Par table ouverte à tout-venant,
Par le bon Caresme-prenant,
Par les fins mots de ta Cabale,
Par le tambour et la Cymbale,
Par tes cloches qui sont des Pots,
Par tes soupirs qui sont des rots,
Par tes hauts et sacrez mysteres,
Par tes furieuses Pantheres,
Par ce lieu si frais et si dous,
Par ton Boucq paillard comme nous,
Par ta grosse garce Ariane,
Par le vieillard monté sur l’Asne ;
Par les Satyres tes Cousins,
Par la fleur des plus beaux Raisins,
Par ces bisques si renommées,
Par ces langues de Bœuf fumées,
Par ce tabac ton seul Encens,
Par tous les plaisirs innocens,
Par ce jambon couvert d’espice,
Par ce long pendant de saucisse,
Par la majesté de ce Broc,
Par masse, toppe, cric et croc,
Par ceste olive que je mange,
Par ce gay passeport d’orange,
Par ce vieux fromage pourry ;
Bref par Gilot ton favory,
Recoy nous dans l’heureuse troupe,
Des francs Chevaliers de la Couppe,
Et pour te monstrer tout divin
Ne la laisse jamais sans Vin.

vendredi 1 mai 2015

Claude Malleville (1597-1647) ~ Chanson à boire

             Claude Malleville est un poète parisien né en 1597 et mort en 1647. Élève de Malherbes, il a cependant été ronsardien aussi (dans le cénacle des Illustres Bergers) et a composé une oeuvre importante agréable, selon nous, à lire.

Chanson à boire

Lorsque nos mains s’arment d’un verre,
A tous les plus grands de la terre,
Nous faisons ployer les genoux.
Nos maîtresses sont plus traitables
Et nous semble que les notables
Sont bien moins notables que nous.

Bois, Daphnis, à toute la troupe :
Ce clair ornement d’une coupe
Fait des miracles non pareils ;
Il fléchit une âme cruelle,
Et rend la nature plus belle
En nous faisant voir deux soleils.

C’est lui dont les grâces infuses
De l’art d’Apollon et des Muses
M’ont les mystères découverts.
Lui seul est l’âme de ma veine,
Et toute l’eau de leur fontaine
Ne me ferait pas faire un vers.

Depuis le funeste passage
Où mon esprit et mon courage
Par l’eau se virent agiter,
A la voir même je me pâme,
Et rien ne rappelle mon âme
Que le vin qu’on me fait goûter.

Vive ce jus si délectable !
Je jure, la main sur la table,
D’en boire jusqu’à m’endormir ;
Ce jus est ma bonne fortune,
Et Bacchus plutôt que Neptune
Désormais me fera mourir !

jeudi 30 avril 2015

André Chénier ~ Elégie XI, livre II, Camille

         Cette élégie aurait pu figurer dans une anthologie amoureuse (où Chénier occuperait une place prédominante). On y retrouve précisément les émotions de l’ivresse, la puissance et l’accablement, ses extrêmes, les différentes faces de l’amour, en communauté et en privé. Presque contre un siècle des Lumières qui finira – rappelons-le – en le décapitant.

Elégie XI, livre II, Camille


Reste, reste avec nous, ô père des bons vins !
Dieu propice, ô Bacchus ! toi dont les flots divins
Versent le doux oubli de ces maux qu’on adore ;
Toi, devant qui l’amour s’enfuit et s’évapore,
Comme de ce cristal aux mobiles éclairs
Tes esprits odorants s’exhalent dans les airs.
Eh bien, mes pas ont-ils refusé de vous suivre ?
« Nous venons, disiez-vous, te conseiller de vivre.
Au lieu d’aller gémir, mendier des dédains,
Suis-nous, si tu le peux. La joie à nos festins
T’appelle. Viens, les fleurs ont couronné la table ;
Viens, viens y consoler ton âme inconsolable. »

Vous voyez, mes amis, si de ce noble soin
Mon cœur tranquille et libre avait aucun besoin.
Camille dans mon cœur ne trouve plus des armes,
Et je l’entends nommer sans trouble, sans alarmes ;
Ma pensée est loin d’elle, et je n’en parle plus ;
Je crois la voir muette et le regard confus,
Pleurante. Sa beauté présomptueuse et vaine
Lui disait qu’un captif, une fois dans sa chaîne,
Ne pouvait songer… Mais que nous font ces ennuis ?
Jeune homme, apporte-nous d’autres fleurs et des fruits.
Qu’est-ce amis ? nos éclats, nos jeux se ralentissent ?
Que des verres plus grands que nos mains se remplissent.
Pourquoi vois-je languir ces vins abandonnés,
Sous le liège tenace encore emprisonnés ?
Voyons si ce premier, fils de l’Andalousie,
Vaudra ceux dont Madère a formé l’ambroisie,
Ou ceux dont la Garonne enrichit ses coteaux,
Ou la vigne foulée aux pressoirs de Citeaux.
Non, rien n’est plus heureux que le mortel tranquille
Qui, cher à ses amis, à l’amour docile,
Parmi les entretiens, les jeux et les banquets,
Laisse couler la vie et n’y pense jamais.

Ah ! qu’un front et qu’une âme à la tristesse en proie
Feignent malaisément et le rire et la joie !
Je ne sais, mais partout où je l’entends, je la voi ;
Son fantôme attrayant est partout devant moi ;
Son nom, sa voix absente errent dans mon oreille :
Peut-être aux feux du vin que l’amour se réveille ;
Sous les bosquets de Chypre, à Vénus consacrés,
Bacchus mûrit l’azur de ses pampres dorés.
J’ai peur que, pour tromper ma haine et ma vengeance,
Tous ces dieux malfaisants ne soient d’intelligence.
Du moins il m’en souvient, quand autrefois auprès
De cette ingrate aimée, en nos festins secrets,
Je portais à la hâte à ma bouche ravie
La coupe demi-pleine à ses lèvres saisie,
Ce nectar, de l’amour ministre insidieux,
Bien loin de les éteindre, aiguillonnait mes feux.
Ma main courait saisir, de transports chatouillée,
Sa tête noblement folâtre, échevelée.
Elle riait ; et moi, malgré ses bras jaloux,
J’arrivais à sa bouche, à ses baisers si doux ;
J’avais soin de reprendre, utile stratagème !
Les fleurs que sur son sein j’avais mises moi-même ;
Et sur ce sein, mes doigts égarés, palpitants,
Les cherchaient, les suivaient, et les ôtaient longtemps.
Ah ! je l’aimais alors ! Je l’aimerais encore,
Si de tout conquérir la soif qui la dévore
Eût flatté mon orgueil au lieu de l’outrager,
Si mon amour n’avait qu’un outrage à venger,
Si vingt crimes nouveaux n’avaient trop su l’éteindre,
Si je ne l’abhorrais ! Ah ! qu’un cœur est à plaindre
De s’être à son amour longtemps accoutumé,
Quand il faut n’aimer plus ce qu’on a tant aimé !
Pourquoi, grands dieux ! pourquoi la fîtes-vous si belle ?
Mais ne me parlez plus, amis, de l’infidèle :
Que m’importe qu’un autre adore ses attraits,
Qu’un autre soit le roi des festins secrets :
Que tous deux en riant ils me nomment peut-être ;
De ses cheveux épars qu’un autre soit le maître ;
Qu’un autre ait ses baisers, son cœur : qu’une autre main
Poursuive lentement des bouquets sur son sein ?
Un autre ! Ah ! je n’en puis souffrir la pensée !
Riez, amis, nommez ma fureur insensée.
Vous n’aimez pas, et j’aime, et je brûle, et je pars
Me coucher sur sa porte, implorer ses regards :
Elle entendra mes pleurs, elle verra mes larmes ;
Et dans ses yeux divins, pleins de grâce, de charmes,
Le sourire ou la haine, arbitres de mon sort,
Vont me pardonner, ou prononcer ma mort.